ÉDITORIAL :
Depuis 2008 l’ostéopathie française a été officiellement réglementée et sa formation encadrée par des programmes académiques rigoureux mais peu innovants résultant davantage d’un équilibre politique et socio-professionnel que d’un véritable élan scientifique , phénoménologique et clinique au service de la profession ostéopathique et de ses patients.
Ainsi, il existe un profond écart entre la réalité de la pratique ostéopathique chez les praticiens ayant intégré entre autres les modèles tissulaires ou le modèle biodynamique de l’ostéopathie et le modèle ostéopathique biomécanique musculo-squelettique classique qui sert de référence légale aux médecines manuelles.
Cette difficulté provient en premier lieu de la confusion entre des modèles répondant à des buts et à des registres de connaissance différents ainsi que l'analyse avec brio le philosophe des sciences Bruno Latour . Le modèle biodynamique de l’ostéopathie par exemple , tel que l’a développé le Dr Jealous à partir de 1993, est essentiellement un modèle phénoménologique d’enseignement de la perception des fluides et non un modèle scientifique au sens strict et ne prétend donc pas rendre compte d'une représentation scientifique académique réductible aux données acquises de la science . Sa vocation est plutôt d'accompagner les ostéopathes dans leur évolution perceptive en leur fournissant une carte d’orientation phénoménologique nourrie par les acquis de la tradition ostéopathique . Historiquement la pratique ostéopathique clinique a toujours précédé les tentatives d'explications scientifiques. Rares sont les ostéopathes qui ont trouvé leur vocation en lisant des articles scientifiques !
Ainsi, le modèle scientifique biomécanique et neurologique classique, qui domine encore largement l’enseignement général de l’ostéopathie dans les écoles ainsi que la recherche, peine à rendre compte de la richesse et de la complexité de la pratique clinique telle qu’elle est vécue au quotidien dans les cabinets d’ostéopathie.
Deux dangers menacent actuellement l'ostéopathie.
D'une part l'affadissement de l'enseignement par le conformisme et le souci de reconnaissance . Ainsi la transformation actuelle de l'enseignement ostéopathique britannique du fait de sa lente dérive vers une assimilation à la physiothérapie et de l'effondrement des effectifs dans les promotions de la BSO et de L'European School of Osteopathy de Maidstone devrait à ce propos nous alerter. Le Brexit n'en étant qu'en partie responsable !.
D'autre part notre difficulté à assumer l'originalité de la médecine ostéopathique et à élaborer des programmes de recherches correspondant aux véritables besoins de la profession et non à l'unique souci de la soumettre à des critères de validation inadaptés.
Ce faisant, l’injonction politique de faire correspondre la pratique de l’ostéopathie à ce qui semble scientifiquement acceptable est une arme qu’utilisent aujourd’hui avec succès les adversaires socio-professionnels de l’ostéopathie.
Pour répondre à ce défi, il nous est apparu que la SOFA pouvait utilement contribuer à la formulation d’un nouveau modèle scientifique de l’ostéopathie, élargi aux plus récentes données de la science (le cours de Jo Buekens en est à ce propos un exemple éclatant tant sa vision de l'os est à la fois basée sur les données de la science les plus récentes mais reste enracinée dans la philosophie ostéopathique et au service des patients) . Ce modèle aura pour vocation de mieux communiquer avec le monde médical et scientifique et non de se substituer aux modèles traditionnels phénoménologiques d'enseignement qui sont notre héritage le plus précieux , la source de notre identité professionnelle mais qui répondent à un registre de connaissance différent.
Ainsi le philosophe des sciences Bruno Latour nous invite à ne pas mélanger les chaînes de référence avec les chaînes de transformation :un modèle scientifique tire sa validité de la solidité des inscriptions (les mesures : graphique, image, chiffre, formule…) qui relient les phénomènes mesurés à leurs représentations, tandis qu’une carte phénoménologique tire la sienne de sa puissance à modifier l’attention et la pratique des ostéopathes. Confondre ces deux régimes revient à changer la règle du jeu en plein milieu de la partie (voir l'article suivant intitulé L'avertissement de Bruno Latour ).
C’est pour contribuer à ce nécessaire aggiornamento du modèle ostéopathique académique que le PROJET BONE a vu le jour il y a maintenant deux ans.
Son ambition : explorer les données scientifiques et cliniques les plus récentes pour renouveler en profondeur notre compréhension de l’ostéopathie et clarifier la communication des ostéopathes avec leurs patients et le monde académique.
Afin d’engager ce renouvellement du modèle ostéopathique classique, il nous est apparu que le meilleur point de départ pour un ostéopathe était de retourner aux intuitions fondatrices de AT STILL et donc de retrouver sa vision... de l’os vivant. Trop souvent réduit à une simple structure biomécanique, l’os est pourtant bien davantage : un organe vivant, dynamique, au cœur des équilibres physiologiques et fluidiques du corps. Ainsi, pour paraphraser notre ami John Lewis, qui avait intitulé sa belle biographie de A.T. Still ''De l’os sec à l’homme vivant'', nous ambitionnons de revivifier le modèle ostéopathique en partant de l’os vivant pour aller à un modèle plus dynamique et original de l'ostéopathie.
C’est pourquoi nous avons choisi d’ouvrir le PROJET BONE par un événement fondateur : un cours de Jo Bueckens intitulé Le potentiel secret de l'os en ostéopathie. Depuis deux ans nous avons eu la chance de rencontrer Jo, d’échanger avec lui, et de découvrir un travail novateur qui réinvente l’os, non plus comme simple charpente mécanique, mais comme organe à part entière — notamment un organe vasculaire, érythropoïétique, au cœur des circulations et des régulations vitales.
Son regard et sa pratique clinique très aboutie renouvellent et prolongent la grande règle Stillienne, de "suprématie de l’artère" , et réinscrivent l’ostéopathie dans l’héritage des pionniers, notamment celui du professeur Michael Lane, figure majeure de la physiologie ostéopathique au début du XXe siècle qui dés 1916 présentait l'ostéopathie comme une médecine du système immunitaire.
JO est l'auteur d'un livre remarquable BONE THE BEST-KEPT SECRET encore non traduit en français et uniquement disponible sur le site de Jo Buekens.
Ce cours inaugural aura lieu en novembre, à Dijon du 6 au 9 novembre 2025 à l’hôtel du parc , et marquera le lancement officiel du projet BONES, qui s’étendra sur plusieurs années. Ce projet devrait se dérouler jusqu'en 2028, avec l’organisation de colloques intermédiaires et d’un congrès final en 2028 consacré à l’os en ostéopathie et au 20 ans de la SOFA, dont l’ambition sera de restituer le fruit des recherches accomplies durant les quatre prochaines années et de contribuer ainsi efficacement à l'émergence d'un nouveau modèle scientifique général de l’ostéopathie.